14/12/2008

Charles et l’hakama

Souvent, nous nous plaignons des « malheurs » de nos existences alors que finalement peu de choses nous arrivent ou peuvent nous arriver. Certains ont beaucoup plus de mal à s’intégrer dans notre monde basé sur les performances et les capacités de chacun, certains éprouvent, dans notre art, des difficultés à se déplacer ou à simplement effectuer un mouvement qui pourrait s’avérer anodin pour d’autres…
D’autres nous donnent des leçons de sérénité, de progression, d’abnégation et ce même si l’on est enseignant…

Aussi, j’aimerais vous parler de mon ami Charles, Charles fait partie d’une fratrie de triplés (une fille et deux garçons en fait ) et est né ce qu’on appelle grandement prématuré. De cette naissance précoce, il a parfois quelque mal à exécuter tel ou tel mouvement et finalement, je me rends compte que je connais très peu de sa vie car je ne l’ai jamais considéré comme quelqu’un avec un handicap ou avec des difficultés mais comme un…élève, tout simplement…
Les autres enfants aussi d’ailleurs, tout le monde le voit comme un pratiquant d’Aïkido…vous allez me dire « c’est normal » mais je trouve cela très beau…et à entendre ses proches, tout le monde ne se conduit pas de la meilleure des façons à son égard à l’extérieur du dojo, le monde de l’enfance est souvent pareil à une jungle où les prédateurs guettent…

J’ai longtemps hésité avant d’écrire ce post car je n’apprécie pas vraiment de mettre tel ou tel élève en avant mais il n’a pour but que de rendre hommage à quelqu’un avec du courage car la voie n’est pas facile…
J’ai rencontré Charles , il y a maintenant plus de six ans, son frère Louis venait de s’inscrire à l’Aiki avec Pierre-Louis, notre plus ancien pratiquant encore en activité. A l’époque, je me souviens que ses parents m’avaient demandé si Charles pourrait un jour faire de l’Aïkido, j’avais répondu par l’affirmative mais qu’il devait encore attendre un peu n’ayant pas encore l’âge. Quelques temps plus tard, Charles faisait ses premiers pas sur le tatami, ses parents m’avaient gentiment demandé si celà me posait un problème d’accepter un enfant différent, ce à quoi je répondis « pas d’inquiétude, on en fera une ceinture noire… »
Directement appliqué et plein de gentillesse, il m’étonna par sa mémoire incroyable, un jour lors d’un stage je lui parlais des dinosaures et c’est ainsi qu’il me cita des noms de ces créatures pendant…plus d’une heure, je ne savais pas qu’il y en avait autant ;o). Je me remémore également son application à s’habiller et à faire de merveilleux noeuds de ceinture que je montre toujours comme exemple même aujourd’hui…

Le temps et les années ont passé, Charles a bien grandi, il est dans une école dans laquelle il est respecté; très studieux et devenu presque un adolescent, il va sur le chemin de la vie.
Et maintenant, Charles porte l’hakama, son hakama…et pour ceux qui ont vu son examen, c’était vraiment incroyable de placement et de précision. J’ai été très ému et touché par sa présentation, tout y était…même le travail aux armes, le kata 31, les suburis…et lors de la remise de sa ceinture, de voir son visage rayonner était vraiment la plus belle des récompenses.
Ses parents m’ont demandé comment j’avais fait…et en fait c’est Charles qui a tout fait…
Je me suis longtemps demandé si je devais faire des examens adaptés et je ne regrette vraiment pas de ne pas avoir suivi cette voie, Charles est sur le même niveau que les autres et se fait autant bousculer par son professeur lorsque les mouvements ne vont pas dans le sens ;o)) Il vit pleinement son art…ce samedi, nous avons fait les respirations chères à Tamura Senseï, les exercices terminés, Charles, les yeux fermés continuait, imperturbable, à voyager à l’intérieur de lui-même;  la phrase lancée plus haut n’est vraiment pas une chimère, un jour il sera au sommet de la montagne…

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