29/07/2010

Tamura Sensei et le Budo

Actuellement de nombreux Budo prospèrent en Europe comme en Amérique, avec toujours de plus en plus de pratiquants.
Pour des pratiquants de Budo comme nous, cela devrait être source de joie. Cependant tous ces Budo, si différents les uns des autres, qui apparaissent soudain m'étonnent et me laissent perplexe. Je ne parle pas des anciens Budo qui retrouvent la lumière cachée depuis longtemps et qui aujourd'hui sont jugés meilleurs qu'ils l'étaient jadis. Cela, au contraire, me réconforte et me fait plaisir. Mais des Budo qui mélangent ou qui ajoutent l'un à l'autre les arts martiaux s'imprégnant de couleurs et de parfums mystérieux de l'Orient.
S'il est vrai que l'homme dans la société est contraint de changer cette société pour l'adapter à chaque génération parce que le monde est mouvement, il est aussi normal que changent la culture, les techniques, la civilisation. C'est la condition de l'existence même.
Alors le Budo également peut être amené à changer dans ses formes. Mais est-il bon de changer un Budo quant au fond ?
Au Japon, l'on dit qu'on ne peut greffer un bambou sur un arbre ordinaire. Si, par hasard, une telle greffe réussissait, quel en serait le résultat : un arbre ou un bambou ? Comment devrait-on l'appeler ?

Cette prolifération des arts martiaux, en Occident, s'explique peut-être par le fait que les Occidentaux n'ont pas souvent une bonne conception des Budo. Il est vrai que moi-même je ne suis pas capable de donner une bonne explication de ce qu'est un Budo. L'histoire du Budo a deux mille ans. Durant ces deux mille ans, le Budo, suivant les époques, les régions, les hommes, a certainement présenté de multiples visages. Cependant, au fond de l'âme de chaque Japonais vit encore, de nos jours, le sens profond du Budo et moi-même, en tant que Japonais, je peux peut-être essayer de vous donner une explication qui pourrait vous être utile.
A l'origine BU = voie du combat avec armes; donc méthode pour tuer, méthode de guerre.
Plus tard BUDO = voie pour le maintien de la paix, méthode pour éveiller en l'homme le sens de la vie.
Le combat a changé de but. Est-ce bien certain ? L'origine du mot soldat se trouve, chez les Romains, dans l'expression : "celui qui reçoit le sel, plus tard celui qui reçoit la solde, c'est-à-dire qui est payé pour».

Au Japon, nous disons MONO N0 FU, l'homme armé. MONO = arme. FU = homme. Avec le même sens. TSUA MONO (TSUA = TSUBA). Nous disons encore MASURAO : homme de valeur, de qualité. Homme de guerre supérieur à un autre guerrier. Ensuite, avec le temps, nous arrivons à SAMOURAÏ ou BUSHI : homme de guerre dont la caractéristique principale est la fidélité. BUSHI : homme de guerre dont la fidélité va «jusqu'à ce que le corps s'écrase, les os étant devenus friables»
 L'étude du Bushi est donc le mépris de la mort.
Son choix • mourir sans regret, sans attachement à la vie. Le sens de sa vie est de donner sa vie. Pour sauvegarder là-vie du chef de la Maison à laquelle il appartient. Tel est le BUSHIDO ou chemin du BUSHI.
Pour nous, Japonais, le BUSHI est l'image parfaite de l'homme.

Continuons notre explication.
Dans une société, celui qui détient les armes, est indubitablement très fort. Il lui serait facile d'user de ce pouvoir au détriment des autres.
Tout le monde normalement a de l'amour' pour "soi. Il lui est donc difficile de maîtriser son ego, de vaincre ses désirs, il doit être fort.
C’est ainsi que le SAMOURAÏ ou BUSHI ne doit pas seulement travailler les techniques martiales mais avoir les qualités profondes de l'esprit afin d'être toujours meilleur. Il doit s'envelopper, comme d'unes seconde peau, de culture morale.
Cela chacun doit pouvoir le voir, le percevoir.
Pour nous, Japonais, en effet, le SAMOURAÏ est celui qui transpose dans la vie de tous les jours l'ensemble des qualités acquises. Le SAMOURAÏ se rapproche donc bien du type parfait de l'homme.
Expliquons nous.
Être seulement physiquement fort, habile aux armes, ne signifie rien de sérieux. L'attitude, le comportement général caractérisent, même, dans la défaite, le vrai SAMURAÏ. Ainsi-au moyen~age, après une guerre perdue et la reddition de la forteresse, le chef de maison se sacrifiait lui-même et sa propre famille, à condition que son peuple et ses subordonnés soient épargnés et restent libres. Lors de la deuxième guerre mondiale, l'Empereur du Japon, rencontrant le général MacArthur, lui a offert, s'estimant responsable, sa vie et celle de sa famille, lui demandant de ne pas toucher aux Japonais.
Pourtant, depuis le début, il était opposé à la guerre.
De tels actes sont pour nous, le BUSHIDO ou voie du BUSHI.
Est-ce CLAIR ?

Abordons un autre aspect de la question.
En Europe, actuellement, beaucoup traduisent BU par «arrêter la lance». Cependant le sens original de BU se traduit ainsi : lance et pied; combinaison de lance et pied. Donc quelqu'un qui tient une lance devant le pied; attitude de l'homme debout tenant une lance, les pieds solidement appuyés sur le sol, symbole de l'homme fort, physiquement fort et armé. Armé au service des autres, le pays par exemple, gardien du pays, si vous voulez.
Cette image où entre le don de soi total est pour les Japonais, le symbole de l'homme véritable.
J'insiste et je m'explique encore. Les animaux ont les dents, les griffes. Les cornes : les hommes ont le katana, la lance, l’arc et les flèches. S'en servir pour soi-même, c’est agir comme les animaux ; les utiliser pour la paix, ne pas s’en servir c’est, si l’on veut, la voie de l’homme. C’est dans ce sens que BU a été traduit par arrêter la lance.
Mais, recevoir les coups sans pouvoir se protéger, cela n’est pas le BUDO ; on ne peut pas dans ce cas dire BUDO. Si les militaires ne peuvent pas défendre leur pays, que sera la situation de la population ?     
Durant la dernière guerre, la Norvège avait une armée de treize mille hommes et quatre-vingts vieux avions, une situation militaire déplorable. L'armée allemande occupa la Norvège en trois jours. A la même époque, la Suisse, pays neutre, avait cent quatre vingt mille soldats, cent vingt avions de type récent et- cent vingt plus anciens, des soldats bien entraînés. Là serait la raison pour laquelle Hitler se serait tourné vers la Norvège.

Le BU d'un pays, le BU de chacun doivent être en permanence entretenus. Nous disons symboliquement qu'il faut toujours être prêt à enlever les flammèches qui tombent sur le corps. II faut garder cette capacité d'intervention.
Tenir le fusil, défendre le faible, c'est l'image de I’homme. Mais si la nécessité de servir de ce fusil ne se présente pas, il ne faut pas l'utiliser surtout pour là satisfaction de l'ego. Le bon faucon garde les serres 'rentrées.
Nous avons en japonais deux expression :
– SATSU JINTO : sabre qui tue, qui enlève la vie
– KATSU JIN KEN : sabre qui donne la vie.
C'est le même sabre, c'est l'homme qui l'utilise.
Tuer en soi le désir de tuer équivaut à sauver la vie de quelqu’un. C’est le sens de KATSU JIN KEN. C est, je crois, le sens que O'Sensei donnait à : AM0UR.

Le BUSHI a le courage de couper n'importe qui, n’importe quoi, n’importe quand, n’importe ou, quelqu’un de mauvais ou lui-même. Cela est certainement le véritable sens de AMOUR et posséder ce sens du mot AMOUR fait le BUSHI c'est-à-dire quelqu'un qui peut utiliser aussi bien SATSU JINTO que KATSU JIN KEN, qui peut donc tuer si nécessaire. Si on ne possède pas cette faculté, KATSU JIN KEN ne signifie rien.
Il en est de même sur le plan technique. L'étude passe par là. C'est le Budo qui fait le Bushi. Je ne voudrais pas que Vous vous trompiez sur ce sujet.
Par le BUDO, avec le travail de Bojutsu, on forge l'homme de forte personnalité. Nous dirons donc voie du BUDO, abandon de soi-même pour SERVIR. BUDO recherche de l'UN, recherche de l'UNITE, Paix entre les Hommes.
JINMU est le nom donné au premier empereur du Japon. JIN = Dieu, MU = Bu ce qui se traduit par Empereur du pays de l'ART MARTIAL. Il ne faut pas comprendre art martial dans le sens d'art de la guerre, mais dans le sens de guerrier et Dieu en un, ayant réalisé l'UN, s'apparentant à Dieu et possédant la force martiale.
Telle est la pensée profonde des Japonais; d'où ce nom donné à l'Empereur.

Ainsi est le vrai BUDO qui propose apparemment des contraires : étude des armes faites pour tuer et qui construit un monde harmonieux, lumineux, pur, juste.
Faites le deux UN.
Je livre ces propos à votre réflexion.

Nobuyoshi TAMURA (1980)
 

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