Ces derniers temps, confinement et distanciation venant, nous avons tous eu l’occasion d’éprouver le vide que ce soit dans nos vies, nos activités, notre travail, dans notre famille dont nous n’avons pas vu certains membres, évidemment le manque physique, le manque de toucher de toutes les manières.
J’ai ressenti personnellement cela car ces jours se sont, pour la plupart, passés seul avec moi-même et mon chien.
L’occasion de faire le point sur les aspects « essentiels » de notre vie (essentiels pour moi mais chacun a ses essentiels…) et de penser au…vide.
Le vide dans la pratique
Dès les premiers pas sur le tatami, nous sommes confrontés à ce vide, du moins en paroles car arriver à l’amadouer dans la pratique de tous les jours n’est pas si commode. Il m’a fallu bien des années et le polissage d’une pratique à l’origine bien lourde pour arriver à l’approcher.
Il n’y a pas de secrets pour l’étudier, il faut pratiquer sans cesse, remettre le marteau sur l’enclume et essayer, essayer.
Et puis un jour, le geste « parfait » apparaît et on peut ressentir à ce moment la plus grande des satisfactions.
Le vide à l’origine de l’Aïkido
Les motivations qui ont poussé Maître Ueshiba à créer l’aïkido sont sans doute nombreuses, mais parmi elles, il y avait le désir de créer un art martial à l’efficacité la plus absolue possible. Sa quête l’a conduit à prendre conscience qu’une seule chose au monde est indestructible. Beaucoup de choses sont symboles de force ou de solidité, mais toutes peuvent être détruites. On peut plier une barre de fer, réduire de la pierre en sable, ou des villes en poussière ; même une montagne par la force combinée de l’eau et du vent sera, au fil des siècles réduite au néant. On pourrait multiplier les exemples à l’envi.
Et pourtant une chose, une seule, ne peut être détruite, c’est le VIDE.
Ce qui est paradoxal, car quand on cherche à énumérer des symboles d’indestructibilité, c’est bien la dernière chose qui vienne à l’esprit. Maître Ueshiba se dit alors : « Puisque le vide ne peut être détruit, je vais devenir le vide. »
Et c’est sur cet axiome qu’il créa l’art que nous pratiquons. Cette idée dénote un génie incroyable et en tout état de cause est complètement anachronique. Dans une époque où l’efficacité est profondément associée à l’idée d’opposition, de compétition et de violence, Maître Ueshiba a fait preuve d’un siècle ou deux d’avance sur son époque. N’avez-vous jamais remarqué le regard incrédule, ou les réflexions dubitatives de certains néophytes face à l’aïkido. Ils ne comprennent pas, cela ne rentre pas dans leur schéma de pensée : comment peut on être efficace sans lutter, sans s’opposer, sans détruire ?
Et même chez les pratiquants d’aïkido, ce qui est plus grave, certains pratiquent depuis dix ou vingt ans, voire plus et continuent, au lieu de chercher à améliorer leur capacité à créer le vide, à utiliser la force pour projeter leur partenaire, ce qui réduit l’aïkido à un ridicule test de force, et est à cent lieues de l’art créé par O’Sensei.
L’efficacité de l’aïkido, réside donc dans le fait que le partenaire ne rencontre que du vide. L’idée est intéressante, et c’est une des clés fondamentales de l’aïkido: ce n’est pas moi qui fait tomber mon partenaire, mais le vide que je crée.
La première conséquence de ceci est que l’agresseur qui subit un mouvement d’aïkido n’a pas l’envie de réattaquer ou de se venger, puisque personne ne lui a fait de tort. D’autre part, il faut bien prendre conscience que le vide que je crée, donc l’efficacité de ma technique, ne dépend ni de ma force, ni de mon poids, mais en tout premier lieu de la qualité de mon esquive et du déséquilibre que je crée. De la même manière que le poids ou la force de mon partenaire sont sans importance, ou bien pas dans le sens que l’on croit, car plus il est fort et plus il attaque puissamment, plus il sera précipité irrémédiablement dans ce vide, si celui-ci est correctement créé.
D’ailleurs, le plus gênant pour un aïkidoka qui veut mettre en œuvre sa technique est un partenaire qui n’attaque pas, ou mal.
Une des conséquences de ce qui précède est que l’aïkido échappe aux catégories de poids que l’on retrouve dans la plupart des disciplines sportives. Ce qui est plutôt une bonne nouvelle, car nos techniques ne sont pas amenées à être pratiquées dans le cadre bien déterminé d’une rencontre sportive, mais doivent pouvoir être utilisées à tout moment, dans n’importe quel lieu, et face à n’importe quel agresseur. Il ne nous viendrait pas à l’esprit face à l’agression d’un gredin qui nous dépasse d’une tête et de 10 ou 20 kilos de lui montrer notre licence, et de lui dire : « Vous ne pouvez pas m’attaquer, nous ne sommes pas dans la même catégorie ! ».
Toute chose contient son contraire : c’est justement la modestie de l’aïkidoka qui n’a pas la prétention de vaincre tout le monde qui lui permet d’atteindre une efficacité supérieure à celle qu’il aurait eue s’il s’était maintenu dans le monde du dualisme et des oppositions.