02/01/2011

Pensées de début d’année

Voici le début d'une nouvelle année, le temps file, me voici dans l'année qui me conduira vers le demi-siècle et comme à chaque fois, mes pensées vont vers les disparus, ceux que nous aurions aimé garder à nos côtés.
Que ce soit dans la vie, ce à quoi j'ai été confronté dernièrement, ou dans notre pratique, l'esprit s'envole vers des visages que nous ne verrons plus, des mains que nous ne serreront plus, des voix que nous n'entendrons plus…
2010 fut une année triste dans l'Aïkido avec les disparitions de Tamura Sensei, de Sugano Sensei et de quelques autres moins connus.
La FFAB a édité un Seseragi spécial sur le décès de Tamura Sensei que vous pouvez télécharger sur le site de la Fédération. Celui-ci reprend grand nombre de témoignages de plusieurs grands noms de notre art. De ceux-ci, l'hommage de Yamada Sensei est celui qui m'a le plus parlé et aussi fait comprendre le vide, la vacuité….
Une autre des grandes étoiles de la société de l’Aïkido, peut-être la dernière, vient de s’éteindre. 

La connaissance et la maîtrise de l’Aïkido dont faisait preuve Maître Tamura l’ont conduit a exercé une influence majeure sur le développement de cet Art en Europe mais également dans le reste du monde, tout au long des 45 dernières années. 

Senpaï (la manière dont je le nommais, à titre personnel) était très connu comme uke de O’Senseï lorsqu’il était uchideshi, et il est presque inutile de rappeler qu’il fût l’otomo (compagnon, accompagnateur) de O’Senseï, lorsque ce dernier se rendit à Hawaï, il y a maintenant presque 50 ans de cela. Pour les japonais de cette époque, se rendre à Hawaï représentait un réel rêve, et nous l’avons donc beaucoup envié. La qualité remarquable des mouvements et des techniques d’Aïkido de Senpaï s’est principalement construite en jouant ce rôle de uke pour O’Senseï. Personne ne peut « copier » Maître Tamura et il est parfois amusant de vous voir essayer ! Cependant, j’ai moi-même essayé de lui voler tout ce que je pensais constructif pour mon propre Aïkido.  

En mars dernier, je dirigeais encore en sa compagnie un séminaire annuel à Madrid, et en avril il a commencé à observer un changement dans sa condition physique. En mai et en juin, je me suis rendu à deux reprises chez lui en France. Lors de ma seconde visite, j’ai été très impressionné par son attitude, si calme, apaisée, relâchée. Il semblait qu’il partait pour un long séjour de vacances.  

Senpaï était déjà uchideshi, lorsque moi-même je suis arrivé au Dojo de O’Senseï, également comme uchideshi. Nous étions la plupart du temps ensemble. Durant les chaudes nuits d’hivers, nous nous battions ensemble contre les moustiques et durant la période froide nous rapprochions nos deux futons. Mais à la vérité, les moustiques me ciblaient en priorité ! De telle manière que nous avions décidé d’utiliser deux futons superposés, plutôt qu’un seul futon dans lequel nous resserrer ! 

En 1964, j’ai quitté le Japon pour New York, et dans l’été de la même année, Senpaï a également quitté le Japon avec sa femme pour la France. Senpaï aimait plaisanter à ce sujet : « J’ai attendu jusqu’à ce que tu t’en ailles le premier, pour nous montrer comment faire. Maintenant que tu l’as fait, je peux me décider ». Mais c’est faux. Personne d’autre que lui n’avait autant de confiance en l’avenir. Grâce à cette confiance si forte dont il disposait, non seulement il a survécu à ce départ vers l’Europe mais il en a fait en un grand succès. 

J’écris ces lignes au moment même où démarre le séminaire annuel de La Colle-sur-Loup dans le sud de la France. Nous avons dirigé ce séminaire ensemble pendant presque trente ans : il s’agit donc pour moi de moments très chargés en émotion. Notamment, me reviennent à la mémoire, les nombreux beaux moments que nous avons partagés ensemble durant tant de séminaires communs, dans tant de pays distincts. Nous avons nagé à Nice entourés de beautés en partie dénudées, ou encore escaladé les falaises d’une montagne marocaine à dos d’âne. A Marrakesh, également au Maroc, je me suis retrouvé avec un serpent autour du coup, le temps d’une photo. Nous avons survolé de près les chutes de l’Ange au Vénézuela, à bord d’un petit avion Cessna. En Yougoslavie, l’odeur d’une salle de sport était si mauvaise que Senpaï quitta le gymnase en me disant, « Tu prends en charge la suite » ! Nous avons voyagé dans notre pays, le Japon, avec bien des pratiquants. Durant l’un de ces voyages, nous sommes allés à un Karaoke et j’ai dû chanter un duo avec Senpaï… qui n’avait réellement pas le sens musical !  

Tous mes remerciements vont vers lui, pour ces souvenirs merveilleux que nous avons construits ensemble. Je suis si fier d’avoir été son partenaire sur ce chemin. Il avait l’habitude de souligner que, rencontrer autant de gens grâce à l’Aïkido, était son bonheur. En conservant ces paroles dans mon esprit, je ferai de mon mieux pour m’occuper des personnes que je serai amené à rencontrer dans ma vie. J’ai cru en un miracle, mais qui ne s’est pas réalisé. Cependant, j’ai été très heureux d’apprendre qu’il était dans les bras de sa femme durant les derniers moments. Il partageait sa vie, presque 24 heures par jour, avec sa femme bien- aimée : il méritait ce départ.  

Une dernière fois, je voudrais dire combien je suis heureux pour lui. Et je l’envie, de la même manière que je l’ai envié en l’observant uke de O’Senseï. Je l’ai envié pour l’intégralité de ce qu’il a réalisé dans son Aïkido. S’il te plaît, reviens de tes vacances dès que possible… J’ai conservé un Bordeaux 1995 spécialement pour nous. Trinquons ensemble une nouvelle fois.

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