02/02/2016

Stratégie, Musashi et Kishinkai

Il y a des livres que je prends plaisir à relire. Parce que d’une part, je les apprécie mais également parce que chaque nouvelle lecture offre une autre compréhension des mots.
Et lire, c’est vivre mille vies.
Parmi ces ouvrages, les écrits sur la vie et l’école de Miyamoto Musashi occupent une place de choix.
J’ai donc reffeuilleté pour la xème fois « Le traité des cinq roues » et il m’est apparu sous un jour nouveau. En particulier suite aux explications données par Léo Tamaki lors du stage d’été au Centre Perou, des moments de partage durant lequel notre enseignant nous a donné énormément de nouvelles pistes pour notre pratique (j’ai commencé cet article sur la stratégie cet été 🙂 ).
Evidemment, j’en vois déjà certains se dire derrière l’écran « comparer Musahi et Leo, quel présomptueux celui-là! ».

Musashi dans la Bd Vagabond

Musashi dans la Bd Vagabond

Toutes proportions gardées, je suis pourtant certain qu’il se seraient bien entendus car au dela d’une certaine ressemblance d’allure par les représentations « modernes » de Musashi et qui sont vraisembablement incertaines, ce qui auraient pu les lier auraient été certainement la création d’un renouveau dans le Budo, une recherche perpétuelle et une réelle innovation découlant de réflexions remises en question à de maintes reprises.
Le Gorin No Sho est donc le fruit des réflexions de Musashi sur l’art du combat.
C’est un ouvrage qui, je trouve personnellement, n’est pas facile à saisir.
J’entends beaucoup de gens en parler et on trouve nombre d’articles sur le sujet sur le web et chacun y va de son analyse. De ces pamphlets, j’avais beaucoup apprécié celui de Nicolas Lorber, un budoka talentueux.

Représentation de Musashi

Représentation de Musashi

Mais je dois bien avouer que, pour moi, les écrits de Musashi ne sont pas très compréhensibles et seule l’édition détaillée par Tokitsu Sensei est beaucoup plus explicative.
Il faut évidemment remettre cela dans le contexte de l’époque, des duels sanglants au cours desquels on ne pouvait pas se permettre de « parader » comme sur un tatami. La vie en dépendait et la mort était souvent au bout du chemin en cas de défaillance, mauvaise évaluation, préparation approximative ou encore des erreurs fatales comme par exemple, donner des indications sur les gestes qui allaient survenir.
De ce fait, la totalité de l’ouvrage est consacrée à la stratégie dans le combat « réel » tel que l’on pouvait le penser entre samourais ou ronins.
Plusieurs principes détaillés sont en partie un peu « obsoletes » et difficile à appliquer dans la pratique de tous les jours. Du moins, c’est mon humble avis.
Cependant, certains aspects et textes m’ont bien fait pensé à la pratique Kishinkai.
Et en particulier un chapitre traitant du rythme et d’ou peut découler le « Yoyu », l’instant qui permettra de prendre l’ascendant en…un instant.

Toshiro Mifune, un Musashi de légende

Toshiro Mifune, un Musashi de légende

Le rythme est la vie évidemment car on retrouve ce vocable dans nombre de fonctionnement du corps : rythme cardiaque, rythme respiratoire, rythme de la marche, etc.
Le rythme est nature, est l’univers car il se trouve partout, par exemple dans le ryhtme des saisons ou le rythme des marées.
Le rythme est musique car que serait celle-ci sans cet allié indispensable.
Le rythme est le geste, il suffit de regarder un danseur.
Et le rythme se retrouve de façon bien concrète dans la pratique martiale.
Sa présence amène la victoire, son absence est la caractéristique de la défaite, de la mort. Pour notre auteur, c’est sa capacité à maîtriser le rythme qui explique l’efficacité de ses techniques de sabre.

« En toute chose il y a rythme. Dans le cas particulier du rythme de la tactique on ne peut l’atteindre sans s’exercer »

Dans l’idée de Musashi, il existe trois rythmes : concordant, discordant, contrariant.
Il s’agit là, je pense, d’éléments essentiels à la pratique actuelle et certainement plus d’application que les études de terrain ou le fait du placement du soleil car même si cela s’avère intéressant historiquement, il y a peu de chance, convenez-en, que vous puissiez appliquer cela sauf si vous préparez un duel en « gentilhomme » contre votre voisin.

Musashi en manga

Musashi en manga

Le rythme concordant :
L’action va être menée à la même vitesse qu’Aite et en harmonie avec lui.
Il est difficile de « tromper », de surprendre notre opposant vu que nous agissons en « égal » On peut dire que dans cette situation, le pratiquant ayant le plus d’expérience et surtout d’intention dominera l’échange.

Le rythme discordant :
Nous ne serons pas en phase avec notre opposant, la vitesse sera plus rapide ou plus lente, on pourra aussi travailler sur des temps distincts comme nous ne le voyons parfois en stage. On pourra ici surprendre notre adversaire par une désorganisation du rythme.
Dans le travail au ken de notre école, j’ai souvent perçu ce travail dans lequel je vois que l’enseignant n’est pas dans le même temps ou même change l’espace/temps dans le mouvement. Avoir cette impression que l’attaquant agit rapidement alors que Tori agit lentement.

Le rythme contrariant :
Il s’agira ici du niveau élevé de pratique car le simple rythme de Tori mettra directement Uke en difficulté et ce en un instant sans laisser aucune ouverture. Proche du rythme précédent avec cependant une parfaite maîtrise du corps qui ne laissera percevoir aucune intention, aucune ouverture. Il s’agit peut-être ici de la « disparition » comme pratiquée je pense dans l’école de Kuroda Sensei et que parfois nous avons la chance de tester avec Léo Tamaki.
Musashi le nomme également le rythme vide dans certaines versions.
Musashi recommande le rythme vide, né de l’intelligence et qui se manifeste comme inattendu par l’ennemi.
Pour saisir le rythme de l’autre, on développe une aptitude à se mettre complètement à sa place pour vaincre ses intentions au moment même de leur naissance !

« En toute chose il y a rythme. […] Dans tous les arts et techniques on ne peut aller contre le rythme. […] Plusieurs sortes de rythmes se remarquent dans la tactique. Il faut tout d’abord connaître le rythme concordant, puis comprendre quel est le rythme discordant. Il faut savoir discerner le rythme qui sied bien, le rythme à saisir selon l’occasion et le rythme contrariant, tous les rythmes qu’ils soient larges ou étroits, lents ou rapides, sont caractéristiques de la tactique. »

Les différentes stratégies du rythme, acquises au cours des entraînements, permettront de développer une supériorité certaine que ce soit contre un ou plusieurs adversaires.

« Si l’on atteint à la vertu du sabre on peut, seul, vaincre dix personnes. Si l’on vainc, seul, dix personnes alors cent personnes vaincront mille personnes, mille personnes dix mille personnes. C’est pourquoi dans la tactique de notre école une personne ou dix mille personnes sont considérées comme une seule et même chose »

(à suivre)

Share This Article